J’ai mis tellement de temps à écrire que la dernière représentation d’Eveil / Printemps est déjà passée.
Peut-être parce que, depuis, j’écoute toujours Adieu de Rammstein le matin dans le tram.
Et que j’ai l’impression d’être toujours le lendemain de la pièce.
Avec le même pincement au cœur que lors de la première.
Je me souviens de 6 paires de pieds qui se balancent tout en haut du plateau. Dans le vide.
Je ferme les yeux. Je revois le grand escalier blanc. La disposition des corps, des mains. Les couleurs des vêtements.
Sûrement que la rapide révision des tableaux d’Egon Schiele à la bibliothèque a fixé encore plus dans ma mémoire les tonalités, les costumes.
Le texte, la mise en scène, les interprètes, tout m’a emporté vers cette destination étrange qu’est l’adolescence, ce moment mystérieux, dissonent, douloureux et fantasque.
Oui, je les revois tous, les adolescents. Et la veste bleue de Melchior. La veste de velours rouge d’Hänschen. Les bas gris d’Ilse. Et ceux orange de Wendla.
Les adultes sont moins nets. Seul l’homme masqué fait exception.
Je ne peux m’empêcher de l’imaginer comme étant l’auteur, qui, une fois adulte, aurait voulu pousser du côté de la vie l’adolescent qu’il a été.
Oui, je revois Wendla, Melchior, Moritz, Ernst, Ilse, Hänschen. Comme les incarnations même de l’adolescence. Leur jeunesse fixée dans ma mémoire.
Je pensais cela propre au cinéma. Comme si les personnages incarnés par les acteurs avaient une vie propre, indépendante de ces derniers, restant à jamais l’image de la jeunesse.
Celle de la jeunesse avant la catastrophe, pour moi, c’est Nick, incarné par Christopher Walken, qui chante « I love you baby » dans The Deer Hunter. C’est aussi Jacques Perrin jouant Maxence dans Les Demoiselles de Rochefort.
Je les ai vus dans d’autres films, je les ai appréciés dans d’autres rôles. Mais comme dans le film de Woody Allen « La rose pourpre du Caire », Nick et Maxence pourraient sortir de l’écran, avec cette beauté particulière de la jeunesse, et rencontrer Christopher Walken ou Jacques Perrin, qui eux auraient pris de l’âge.
J’ai revu depuis les comédiennes et comédiens Bénédicte Amsler Denogent, Jérôme Denis, Aurélien Gschwind, Zacharie Jourdain, Aline Papin et Louka Petit-Taborelli incarner d’autres rôles sur la scène du Poche. J’avais même vu jouer plusieurs d’entre eux bien avant Eveil / Printemps. Dans des rôles que j’avais beaucoup aimé.
Mais maintenant je suis toujours surprise. Parce que dans ma mémoire, ils sont tous si jeunes, si loin du monde des adultes, que j’en ai oublié qu’ils étaient bien, « en vrai » comme dirait mon filleul, des adultes. De jeunes adultes, mais des adultes quand même.
Pour toujours Il y aura Melchior qui marchera aux côtés de Louka, Ilse aux côtés d’Aline, Moritz aux côtés d’Aurélien, Ernst aux côtés de Jérôme, Hänschen aux côtés de Zacharie, et Wendla aux côtés de Bénédicte.
Oui, j’y pense avec le même pincement au cœur que lors de la première.
Comme si le temps avait fait une boucle sur lui-même.
A 18 ans j’aurais sûrement fredonné les premières lignes d’Adieu, en parfaite jeune fille romantico-désespérée…
Nur der tod währt alle Zeit (seule la mort dure pour toujours).
Aujourd’hui me voilà une adulte, et par chance, du côté de la vie. Je suis bien contente que la dernière scène de la pièce soit celle annoncée par le joli cartouche « Dans les vignes », et dont la dernière réplique commence par « Ne soyons pas tristes ! ».
La mort viendra bien assez tôt, mais comme Gandalf j’ajouterai « tout ce que vous avez à décider c’est quoi faire du temps qui nous est imparti », et de chanter, non pas avec désespoir, mais avec reconnaissance pour les moments partagés :
Adieu, Goodbye, Auf Wiedersehen
Den letzten Weg musst du alleine gehen (Tu dois prendre le dernier chemin seul)
Ein letztes Lied, ein letzter Kuss (Une dernière chanson, un dernier baiser)
Kein Wunder wird geschehen (Aucun miracle ne se produira)
Adieu, Goodbye, Auf Wiedersehen
Die Zeit mit dir war schön (J’ai passé un bon moment avec toi).
Un grand merci pour cette pièce et sa bande-son !
par Alexandra T. / comité de spectatrices